Horizons fermés, fils barbelés

L’entrée d’Auschwitz I

Mi-février 2020, 9 collégiens de deux classes de 3e de notre collège ont participé au voyage mémoire à Auschwitz, organisé et financé par la Métropole. Je vous en livre, certes tardivement, un petit compte-rendu.

Notre voyage débute jeudi 13 février. Nous avons rendez-vous à 7H30 à l’aéroport Lyon St Exupéry. En tout, une centaine de collégiens, 10 professeurs, des témoins, des élus, des employés de la métropole et du voyagiste participent à cette excursion. La durée de vol est de 1h45. Arrivés à l’aéroport Jean-Paul II de Cracovie, nous récupérons les bagages et sortons sans aucun contrôle. L’Union Européenne a du bon, quoi qu’en pensent nos amis Britanniques. Des bus nous attendent sur le parking. Nous accompagnent Mr Bolvin de la Métropole, Mme Vercueil, inspecteur d’Histoire-Géographie, un membre de l’équipe du voyagiste et Magdalena, une guide polonaise francophone. Direction Cracovie, à une demi-heure de route.

Nous visitons à pied Kazimierz, le quartier juif historique de la ville, avec ses synagogues médiévales (la plus ancienne date du XIVe siècle), ses vieux bâtiments et son cimetière. Nous traversons ensuite la Vistule pour gagner le quartier de Podgorze, où les nazis installèrent le ghetto après leur conquête de la Pologne. Nous avons pu voir un reste du mur qui fermait ce quartier. Sa forme rappelle les pierres tombales des cimetières juifs, message explicite quant aux intentions des autorités allemandes. Puis nous nous sommes rendus sur la place Bohaterow getta, où un monument commémore le génocide des Juifs de Cracovie. 24 chaises métalliques scellées dans le sol rappellent les 24 000 habitants du ghetto. Avant sa création, ce quartier ne comptait que 3 000 habitants et on imagine sans peine combien la place devait manquer. Chaque personne disposait en moyenne de 2 m2 d’habitation.
Nous terminons la journée par une visite rapide du centre historique de la ville, magnifique. Nous rejoignons l’hôtel vers 19h. Pendant le repas, nous entendons des discours de témoins et d’élus de la métropole. Quelques collégiens font une lecture ou chantent une chanson. Calliste nous lit le texte de la chanson « Nuit et Brouillard », écrite par Jean Ferrat en 1963.

Vendredi 14 février, réveil à 6h00. Nous prenons un copieux petit déjeuner à 6h15. Le retour dans les bus se fait à 7h10, direction Auschwitz, à 1h de route.
Nous commençons par la visite d’Auschwitz I. Ce camp de concentration a été créé à l’emplacement d’une ancienne caserne de l’armée polonaise. 20 000 déportés vivaient ici, dans 20 bâtiments en briques appelés des blocs. Pour entrer, nous franchissons le tristement célèbre portail, surmonté de son inscription en fer forgé : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre). Le camp est entouré d’une double rangée de barbelés électrifiés et de miradors en bois.

Les bâtiments contiennent des expositions thématiques avec photographies, cartes et objets ayant appartenu aux déportés. Certaines salles sont particulièrement impressionnantes, notamment celles contenant les cheveux, les lunettes, les valises, les chaussures, les prothèses ou la vaisselle des déportés.

Quelques blocs sont consacrés à des expositions organisées par des États. Nous visitons le bloc aménagé par la France, mais nous n’avons hélas pas de temps pour entrer dans les autres.
Nous terminons notre parcours par la chambre à gaz et les fours crématoires, installés juste à côté du camp. La vue de la trappe par laquelle les nazis déversaient le gaz Zyklon B est saisissante. Voir les crématoires est également un moment particulier. Les sentiments se bousculent.

L’après midi, nous visitons Auschwitz II Birkenau, à trois kilomètres d’Auschwitz I. L’entrée se fait par le grand mirador en brique, dont la vue est très impressionnante, avec la voie ferrée qui passe dessous.

Sur la droite, nous visitons une baraque en bois, semblable aux dizaines d’autres où les prisonniers du camp de concentration passaient leurs nuits. C’étaient à l’origine des constructions destinées aux chevaux. Elles sont sombres, le sol est en terre battue. Les châlits n’ont pas de matelas. Neuf détenus dormaient sur chaque niveau, quatre cents par baraque. L’isolation est inexistante. Les poêles en briques n’étaient allumés que si la température tombait sous zéro degré plus de trois jours d’affilée. Difficile de ne pas se projeter et on se demande forcément comment on aurait pu survivre dans de telles conditions. Pour nombre de baraques, la structure en bois a totalement disparu, rongée par le temps et l’humidité. Ne subsistent que les cheminées en briques, qui se dressent bizarrement à intervalle régulier.

La visite de la baraque sanitaire est aussi glaçante. La promiscuité est totale, c’est une façon comme une autre de déshumaniser les détenus. Travailler au Kommando « Scheisse », comprenne qui pourra, était paraît-il très recherché. Malgré les odeurs et la saleté du travail (il fallait vider les latrines au seau), les détenus y étaient à l’abri des violences des gardes SS et des Kapos, qui n’osaient pas y entrer par peur des maladies.

Nous passons maintenant du côté gauche de la voie ferrée. Ici, les baraques sont en briques, car c’est la partie du camp la plus ancienne. Elle a été construite avec les briques récupérées après la destruction des maisons des Polonais d’Oswiecim (Auschwitz pour les Allemands). Au fur et à mesure de l’extension du camp, jamais interrompue jusqu’à sa libération par l’Armée rouge le 27 janvier 1945, ce secteur est devenu le camp des femmes. Les châlits sont identiques, mais chaque baraque abritait huit cents détenues. Difficile d’imaginer tout le collège « logé » dans un seul des ces bâtiments…

La rampe d’arrivée des trains à Auschwitz-Birkenau. Ici se décidait en quelques secondes si les déportés allaient vers le camp de concentration ou vers le centre de mise à mort

Notre visite se poursuit par la rampe où les déportés descendaient des wagons à bestiaux. Pour ceux arrivant de Grèce, le trajet durait entre 12 et 16 jours ! Depuis Lyon, il fallait compter 3 jours, sans possibilité d’obtenir de l’eau ou de la nourriture. Ici, la sélection séparait les aptes au travail des inaptes. Les premiers, surtout des hommes, étaient dirigés vers la douche, la tonte et le tatouage, c’est-à-dire le camp de concentration. Les seconds, surtout des femmes, des enfants et des vieillards, étaient dirigés vers le centre de mise à mort.

Il y avait 5 crématoriums au total. Les deux que nous avons vus ont été dynamités par les nazis avant leur évacuation du camp : ils voulaient dissimuler leurs crimes. Un plan permet cependant de bien comprendre l’organisation des lieux, avec en sous-sol la longue salle de déshabillage, la chambre à gaz et, à l’étage, les fours crématoires.

La cérémonie finale.

C’est ici, entre les deux crématoriums, que différents pays ont fait ériger des plaques commémoratives. Devant la plaque française, nous avons entendu des lectures faites par les collégiens, avant de respecter une minute de silence.

Pierre-Antoine a lu le témoignage de Jean, survivant du camp, recueilli par Sophie Nahum dans son livre « Les derniers » paru aux éditions Alisio en 2020.

« Au départ, j’ai voulu oublier. J’ai essayé d’enterrer ça au plus profond de moi-même. Pourquoi le sort a voulu que je survive ? Je ne le sais pas. Toute ma famille est morte. Je me suis retrouvé tout seul à la libération. Encore aujourd’hui, quand les souvenirs me reviennent, c’est comme si on me tirait dessus. Dès que mes souvenirs remontent, je deviens blême, j’ai l’impression qu’on m’étrangle. Même à mon âge, ça me rend malade à crever. Mes souvenirs m’étouffent. J’ai 92 ans et je n’ai pas digéré. Je devrais savoir nager maintenant, mais en ce qui me concerne, on ne sort jamais la tête de l’eau. »

Enzo a lu un témoignage de Simone Veil, extrait de l’émission de télévision « Samedi l’après-midi » en janvier 2007.

« Nous ne sommes jamais sortis de la Shoah. Nous vivons dans la Shoah, je crois qu’il faut le savoir. Je vois les gens qui sont proches de moi, ce sont quelques camarades avec lesquels j’ai vécu le camp et quand nous nous voyons, nous ne pouvons pas parler d’autre chose. Plus rien n’existe. D’ailleurs nos familles le comprennent très bien. Ils savent que nous nous voyons, que nous parlons entre nous, ils ne cherchent pas à être là. Alors nous, c’est notre réaction. Moi j’ai en revanche quelqu’un de très proche dans ma famille qui n’en parle jamais, qui ne supporte pas d’en parler. Chacun a sa réaction. Mais je crois que de toute façon, qu’on en parle ou qu’on n’en parle pas, nous y vivons encore. »

Ainsi s’achève notre voyage mémoire. Nous avons regagné l’aéroport Jean-Paul II d’où notre avion a décollé vers 20h. Nous avons atterri à St Exupéry vers 22h. Chacun est rentré chez soi, fatigué physiquement et moralement, livré à des pensées plutôt sombres quant à la nature humaine.